Le revers de la médaille

Nos pistes pour reparer les failles

partie 5 sur 5

Le nombre et la récurrence des violences sexuelles contre de jeunes sportifs appellent des mesures urgentes.

Nos pistes pour reparer les failles

partie 5 sur 5

Le nombre et la récurrence des violences sexuelles contre de jeunes sportifs appellent des mesures urgentes.

Mercredi 11 décembre 2019

Au-delà de la prise de conscience, Disclose propose dix actions concrètes.

1. Une autorité indépendante pour accompagner les victimes de violences sexuelles dans le sport

Les ligues et fédérations sportives ne disposent ni d’une formation adéquate ni des outils pour faire face aux agressions sexuelles contre leurs adhérents, souvent jeunes. Résultat : les victimes et les familles qui ont eu le courage de signaler les faits sont fréquemment abandonnées. Pour faire face à ce type de situations, Disclose préconise l’instauration d’une instance indépendante. Elle permettrait de soutenir les clubs sportifs dans la gestion des affaires à caractère sexuel. A l’image de l’US Center for Safesport, créé pendant le scandale de violences sexuelles visant un médecin de l’équipe olympique américaine de gymnastique. Cet organisme recense les affaires, identifie précisément les dysfonctionnements et recueille les témoignages en suivant des protocoles stricts.

2. Mieux vérifier les antécédents judiciaires

Les instances sportives ont le droit de demander, au cas par cas, l’extrait du bulletin numéro 2 du casier judiciaire d’un individu. Ils peuvent aussi demander à connaître les informations qui figurent dans le Fichier judiciaire des infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv). Pour les entraîneurs rémunérés, la carte professionnelle d’éducateur sportif est obligatoire, et le contrôle du casier judiciaire est contrôlé annuellement. Mais dans ce cas précis, le fait de fournir des documents qui ne sont pas à jour – le renouvellement se fait tous les cinq ans – permet de déjouer la vérification automatique des antécédents judiciaires par les services préfectoraux.

Les bénévoles, eux, passent systématiquement sous les radars. Sans carte professionnelle ni même d’obligation de diplôme, hormis pour le parachutisme ou la plongée, des éducateurs bénévoles se retrouvent auprès d’enfants sans contrôle de leurs antécédents. Ils peuvent obtenir des certificats fédéraux qui ne sont pas des diplômes d’Etat et n’obligent pas à un examen de leurs antécédents. Depuis des années, l’association de prévention contre les violences sexuelles Colosse aux pieds d'argile, en pointe sur ce dossier, milite pour l’adoption d’une loi sur le filtrage des bénévoles dans le sport. « La principale défaillance, c’est ce filtrage. Les bénévoles passent entre les mailles du filet parce qu’il n’y a pas de contrôle », explique Sébastien Boueilh, le fondateur de l’association, qui a exposé le problème au ministère des Sports. Une expérimentation est en cours depuis quelques mois au sein de la Fédération Française de football, dans le Centre-Val de Loire. Disclose recommande d’étendre au plus vite cette mesure à tous les sports et à l’ensemble du territoire.

©Marina Cirese

3. Rappeler l’obligation de dénoncer

L’article 434-1 du code pénal oblige quiconque à dénoncer un délit ou crime sexuel dont il a connaissance aux autorités judiciaires ou administratives. Différentes instances peuvent recueillir l’alerte : le procureur de la République, la police, la gendarmerie, la cellule de recueil des informations préoccupantes – présente dans chaque département – ou encore la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), rattachée à la préfecture.

Trop souvent, les clubs tergiversent des mois avant d’agir, essayant de résoudre le problème en interne. Ou de le déplacer. Pis, ils ignorent que le signalement relève d’une obligation légale. « Si vous avez un doute, vous signalez quoiqu’il arrive », affirme un officier de police judiciaire spécialisé dans la protection de l’enfance. Disclose recommande une sensibilisation et un rappel du droit lié aux problématiques sexuelles au sein des associations sportives et des instances fédérales.

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4. Généraliser la déclaration d’honorabilité et informer sur le code du sport

Depuis un an, la Fédération française de football a rendu obligatoire une déclaration d’honorabilité pour tous ses éducateurs bénévoles. La généraliser à tous les sports assurerait un premier filtre, bien qu’elle demeure déclarative. D’autre part, elle permettrait aux dirigeants de club et aux éducateurs de prendre connaissance de l’article L212-9 du code du sport, un texte de loi très souvent méconnu. Ledit article interdit toute activité d’enseignement, d’entraînement ou d’animation à une personne déjà condamnée pour une infraction sexuelle. Disclose recommande de mieux informer et sensibiliser les dirigeants de clubs, de ligues et d’instances sportives au code du sport.

5. Renforcer le Fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv)

Les rapporteurs de la commission sénatoriale sur les violences sexuelles sur mineurs, mise en place notamment après les scandales de pédophilie dans l’Eglise, ont souligné en mai 2019 une lacune importante du Fijaisv : les délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure à cinq ans ne sont pas automatiquement inscrits dans le fichier, sauf décision spéciale de la justice. Ce qui exclut, par exemple, les condamnations pour détention d’images pédopornographiques, parfois une première étape vers un passage à l’acte. Disclose recommande d’inscrire au fichier tous les délits sexuels punis par la loi, y compris lorsque la peine d’emprisonnement est inférieure à cinq ans. Ce fichier pourrait être examiné par les instances sportives.

6. Repenser l’interdiction d’exercer auprès de mineurs

Lors de notre enquête, nous avons constaté que des auteurs d’infractions sexuelles sur mineurs ne sont pas systématiquement interdits d’exercer auprès d’enfants lors d’une première condamnation, ou n’écopent que d’une interdiction provisoire. Il faut attendre la récidive pour que l’interdiction devienne définitive. Cette peine complémentaire reste aléatoire selon les tribunaux, à l’appréciation des juges. C’est le principe constitutionnel « d’individualisation de la peine ». Il a néanmoins permis à des pédophiles condamnés de retourner exercer au contact d’enfants à leur sortie de prison. Il serait utile d’ouvrir un débat éclairé sur le sujet.

©Marina Cirese

7. Donner des moyens au suivi judiciaire

Le suivi judiciaire et médical des délinquants sexuels s’inscrit rarement dans la durée. « Il y a des injonctions de soins où c’est un peu n’importe quoi. Le plus souvent, il n’y a pas de suivi : les rares personnes qui sont condamnées ne sont pas contrôlées », déplore Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

Donner plus de moyens au suivi des délinquants et criminels sexuels, notamment en intensifiant les mesures liées au suivi socio-judiciaire permettrait de prévenir un grand nombre de récidives, en particulier en milieu sportif. Et ainsi, que des personnes condamnées pour des infractions sexuelles puissent se réintégrer dans la société.

8. Mettre en place des gestes de prévention

Sébastien Boueilh, ancien rugbyman professionnel lui-même violé dans son enfance, mène actuellement une campagne de prévention sur les violences sexuelles dans le sport. Soutenue par le ministère des Sports, cette tournée à travers la France lui a permis de sensibiliser plus de 2 000 athlètes et 600 encadrants depuis la rentrée. Ses préconisations sont simples et de bon sens : éviter de rester seul avec un enfant, séparer les vestiaires des athlètes et ceux des encadrants, veiller à ce que les entraîneurs n’invitent pas de mineurs chez eux et préférer le « check » – alternative à la poignée de main – que la bise pour se saluer. « On a encore des éducateurs qui se douchent avec les gamins et on est en 2019… », soupire le fondateur de l’association de prévention contre les violences sexuelles Colosse aux pieds d'argile.

9. Sensibiliser plus efficacement les instances sportives

En 2008, une charte relative à la prévention des violences sexuelles a été signée par les fédérations sportives françaises. En 2015, un premier vade-mecum « pour mieux prévenir et réagir » a été édité par le ministère. Le livret, mis à jour en octobre 2018, est destiné aux fédérations et centres de formation. Mais sur le terrain, l’efficacité de ces campagnes reste faible.

« Depuis le dispositif de 2008, à chaque fois que le ministère décide de se ressaisir du sujet, il recommence exactement le même travail avec une brochure, des affiches et un guide », remarque Greg Décamps, doyen de la faculté de psychologie de Bordeaux. Auteur d’un rapport sur les violences sexuelles dans le sport publié en 2009 et commandé par le ministère des sports, il déplore aujourd’hui « la quasi-inefficacité du dispositif ».

10. Apprendre de nos voisins
  • Aux Etats-Unis, un médecin de l’équipe américaine de gymnastique, Larry Nassar, a été condamné en janvier 2018 à la prison à vie pour des agressions sexuelles commises pendant vingt ans sur plus de 350 athlètes, dont Simone Biles, quadruple championne olympique à Rio en 2016. A la suite de ce scandale, une vaste enquête sur les violences sexuelles dans le sport et les défaillances du système olympique américain a été ouverte par la justice américaine. Les magistrats se sont appuyés sur les travaux de l’US Center for Safesport.
  • L’Angleterre a été touchée en plein cœur, au sein de son sport le plus populaire : le football. En 2016, Andy Woodward, un ancien joueur de troisième division, révélait au Guardian avoir été victime à l’adolescence d’agressions sexuelles de la part de son coach, Barry Bennell. Ce scandale a provoqué l’ouverture de nombreuses enquêtes de police dans tout le pays ainsi qu’en Ecosse et au Pays de Galles. Deux ans plus tard, la police britannique comptabilisait 849 victimes présumées dans 340 clubs, parmi lesquels les prestigieuses équipes de Chelsea ou Manchester City.
  • En Allemagne, une commission fédérale spéciale s’est penchée pendant trois ans sur les violences sexuelles commises sur des enfants. A l’issue de ses travaux, au printemps 2019, cette commission a dénoncé dans un rapport le silence des institutions du pays face à ce type d’affaires. Sa mission a été étendue à deux années supplémentaires afin qu’elle puisse approfondir ses investigations, notamment dans le monde sportif. Un appel à témoins a également été lancé.
  • En Corée du Sud, la double médaillée d’or olympique de patinage de vitesse, Shim Suk-hee, a accusé son entraîneur de multiples agressions sexuelles. La réponse politique a été immédiate : le gouvernement a annoncé l’ouverture d’une enquête sur toutes les violences dans le sport coréen, sexuelles ou non, envisageant de durcir la loi sur la non-dénonciation. Plus de 63 000 athlètes doivent être interrogés.

Passez de l’indignation à l’action : envoyez au ministère des Sports nos dix recommandations pour lutter contres les violences sexuelles dans le sport. 

J'écris au ministère des Sports
Daphné Gastaldi et Mathieu Martiniere / We Report

Crédits

  • Enquête Daphné Gastaldi et Mathieu Martinière
  • Photographie Martina Cirese
  • Dessin Vincent Sorel
  • Documentaire Wandrille Lanos, Olivier Broutin, Raoul Seigneur, Nicolas Brikke, Mathieu Martiniere et Daphné Gastaldi
  • Podcast Daphné Gastaldi, Mathieu Martiniere et Solène Moulin
  • Traduction Graham Tearse
  • Partenaires média Binge audio, Brut, Envoyé Spécial, L'Equipe, Le Télégramme, Mediapart, La Revue Dessinée, Rue89 Lyon, Rue89 Bordeaux, Rue89 Strasbourg
  • Directeur de publication Mathias Destal
  • Directeur de production Geoffrey Livolsi
  • Réalisation web Upian Gregory Trowbridge, Nicolas Menet, Thomas Steffen, Jérôme Goncalves